Il était tard. Le ventilo continuait à brailler. Le voisin du dessus tambourinait contre le sol. C'était à se demander ce qu'il faisait à marteler ainsi son parquet. Abattage de souris à coup de balai ? Enfonçage de clou au burin ? Simple pratique courtoise pour avertir qu'il partait dormir ? Dans le doute, notre homme lui répondait à l'aide de sa barre à mine en tapotant son plafond.
Déjà que les voisins n'étaient pas très loquasses, si en plus, nul ne leur répondait, c'était perdu d'avance. Le conflit de voisinage était au pied de la porte et J.C. attendait au bout du couloir avec ses amis en robes. La soirée n'était pas plus enthousiasmante que d'habitude. La journée avait été marquée par une pluie de grêlons dignes des meilleures balles de golf. L'individu était resté cloîtré chez lui, à l'abri des regards accusateurs et autres signes tangibles faisant penser à quelques remontrances.
Depuis qu'il avait changé de coiffure, le regard des autres ne le gênait plus. De jeune et pleurnichard, il était devenu vieux et insensible, au grand désarroi de son entourage. Bien que sa transformation s'était déroulée sur plusieurs mois, l'environnement habituel du garçon pensait à un revirement soudain et ne voyait plus en lui que de l'amertume et de la rancœur. Un monstre de rancune ? Cette image lui plaisait bien. Allait savoir pourquoi ? En tout cas, le fait de ne pas être comparé aux autochtones l'emplissait d'une certaine fierté. Cette face qui représentait la norme était aussi informe et néfaste selon lui que l'eau croupie. Nul ne sait réellement ce qu'il y a dedans, il y a sûrement de bonnes choses, des moins bonnes, des inattendues mais dans tous les cas, à chaque fois, qu'on la boit, rien de bien ne se produit.
Il n'aimait pas les gens. C'était caricatural, certes, mais cela a toujours été, mais il n'osait le proclamer que depuis peu. La solitude était sa meilleure amie. A bas les combinés vocaux, a mort les yeux de bœufs et vive les rideaux !
Son état n'avait pas encore atteint celui de l'autisme. La personne autiste ne peut communiquer avec son monde. Lui, il ne voulait pas parler. Nuance. De tous ceux qui le connaissent, pas un seul n'est capable de réellement le comprendre. D'un côté inaccessible, il pouvait passer à un côté de "mentalement défaillant" pour d'autres. Camper chez soi ou chez les autres ? A quoi bon aller voir l'entourage ? Entendre des faits qu'il connaissait déjà ne l'intéressait pas, les banalités et autres ragots sur d'illustres inconnus filaient à toute allure loin de sa tête et le bon devenir de personnes autres que la sienne ne le marquait même pas. Penser à soi importait déjà tellement et prenait tant de place dans le minuscule réceptacle crânien, que si, en plus, il fallait garder de l'espace pour les autres, autant se barrer.
Les auto-proclamées têtes pensantes (autant dire la quasi totalité des personnes qui ouvrent la bouche) qualifieraient cette attitude de personnelle, de nombriliste et d'égocentrique.
Personnelle ? Eh bien, à partir du moment, où un avis est formulé par quelqu'un, il est dit par une personne, il devient donc personnel… Avis, attitude, même combat. L'étymologie, si souvent employée prenait ici toute sa mesure.
Nombriliste ? Il faut bien avouer qu'il est plus aisé de regarder son nombril que celui de son voisin. Plus facile mais aussi moins coûteux en énergie. Bien sûr, les entités en surcharge pondérale ne pouvaient pas tenir le même discours.
Egocentrique ? Les savants ont mis des siècles à démontrer l'héliocentrisme, alors que l'égocentrisme a été avéré de tout temps. C'est un fait : toute personne pense d'abord à soi puis, éventuellement, s'il reste un peu compassion, aux deux trois clampins qui l'entourent. Quel mal il y avait-il à cela ? La vie est courte selon beaucoup, pourquoi ne pas penser à soi ? De toute façon, il faudrait que tout un chacun campe l'esprit d'autrui pour savoir si ce dernier ne pense qu'à sa petite personne ou s'il a fortuitement des pensées pour sa vieille tante. Autant le dire haut et fort, plutôt que ne se l'avouer qu'à soi-même.
Tant de pensées qui, pour une fois, bifurquaient bien par l'esprit de notre homme.
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