Habituellement, je préfère attendre la fin d'une série pour vous en parler. Cependant, Agharta fait partie de ces petites perles méconnues dont la qualité dépasse aisément les blocks busters, d'où une envie non contenue de vous pousser à la lecture.
Agharta présente un monde post-apocalyptique relativement classique rappelant étrangement Mad Max pour le côté désertique, les villes dévastées, la rareté de l'eau, les armes en libre circulation et le faible nombre de véhicules valides. L'anti-héros de notre aventure s'appelle Juju Meyer, il a été adopté encore enfant par un mafieux notable du nom de Stipe suite à la mort de ses parents biologiques. Le tout début du premier tome nous montre les agissements de la petite troupe de casseurs dont il est le chef, son amitié avec Cori qui aura une importance capitale plus tard dans l'aventure ainsi que son rêve de visiter Higher Ground. Cette île hautement protégée est l'un des derniers endroits sur Terre où la végétation pousse. Muni d'une soudaine pulsion de curiosité et de courage, Juju va réussir à s'infiltrer dans l'île où il fera la connaissance de Rael, ce qui démarrera définitivement le scénario.
Le premier tome continue sur l’évasion de l’île pendant laquelle on aura l’occasion de comprendre pourquoi le manga est classé dans les "Big Kana" : le sang coule à flot, les affrontements se finissent souvent au corps à corps et Rael par son mutisme et sa froideur fera tout pour vous mettre mal à l’aise. En fin de volume, on ressentira l’envie de l’auteur de nous présenter pèle mêle une grande partie des autres personnages principaux. Notamment grâce à la rencontre de Juju avec Yunfa et Riam, deux membres d’un gang du désert, qui se retrouveront étrangement mêlés à toute l’histoire, et celle de Rael avec Ursula et Peewee. Ces deux derniers semblent apparemment connaître notre héroïne et Ursula présente même des caractéristiques identiques, ce qui nous donne d’ailleurs un beau combat au début du second tome.
L'histoire prend rapidement une tournure passionnante pour l'amateur d'oeuvre sombre : Rael est tout sauf humaine, hormis en apparence, et sa violence est d'égale intensité à l'étrangeté de ses réactions. La construction du scénario vous rappellera les grands classiques comme Blame avec l'impression de ne rien comprendre de bout en bout tant les éléments sont distillés au compte-gouttes. La narration est tout aussi incroyable, autant on suit constamment les pas de Juju, autant toute l'histoire tourne autour de Rael, qu'elle soit présente ou non, ce qui nous laisse souvent aussi perdu que passionné.
L'oeuvre en est maintenant au tome 8 et les grandes lignes de l'histoire commencent enfin à se relier grâce à l’intrusion très dangereuse de Juju dans la mémoire de Jade. Cette dernière en sait beaucoup sur le mystère Rael puisqu’elle participe au projet depuis le tout début. Les tomes précédents vous feront comprendre progressivement que notre héroïne violente possède plusieurs mémoires et autant de personnalités, qu'est ce que le tamarix dont on entend si souvent parler et pourquoi il y a autant de personnes qui semblent passablement immortelles... j'en passe et des meilleurs. Autant dire que l'attente désespérée du tome 9 commence à se faire sentir, l’auteur étant particulièrement lent (un tome par an environ).
L'ambiance n'est pas en reste, l'univers est passablement violent et on ressent tout de suite que la vie humaine ne vaut pas plus qu'un bon litre d'eau. Les personnages importants sont aussi nombreux que complexes et laissent le sentiment étrange de n’être pas digne de la confiance du lecteur. Etrangement, ils sont tous aussi passionnants que désagréables, et on a du mal à s'y attacher, ce qui nuit en rien à l'histoire et joue au contraire sur l'ambiance. Les seuls brins de naïveté sont créés par Juju aussi courageux que perdu et par Yunfa qui doit être à peu près la seule personne "gentille" de l'aventure. Car à vrai dire, il est très difficile de différencier les bons des méchants tant il est aisé de voir Rael comme l'ennemi numéro 1.
En bref, Agharta a tout d'une oeuvre troublante cherchant à perdre le lecteur en route.
Agharta est un manga en tout point magnifique. Le dessin de l'auteur est splendide, les personnages sont extrêmement détaillés et leur design est aussi recherché qu'original. L'"animation" est là encore une grande réussite rendant le manga vivant au possible notamment durant les très nombreuses scènes de combat. Le décor n'est pas en reste avec un travail très élaboré et détaillé permettant réellement à l'ambiance de se construire et de s'imposer.
En ce qui concerne la version française, Kana a fait une traduction correcte, les fautes sont inexistantes (ce qui devrait être un standard et pourtant ...) et la présentation des tomes est parfaite. On pourra juste noter le prix un peu élevé comme souvent pour les mangas édités dans la catégorie "Big Kana" mais ils valent aisément la dépense.
Agharta est sans conteste un "must read" pour tout fan d'oeuvre mature, sombre et quelque peu psychédélique. Les personnages sont passionnants, l'univers est aussi original que complexe, la lecture accroche malgré le mal à l'aise ambiant et on a du mal à se séparer des tomes tant on a envie de savoir la suite. A essayer absolument.